Dernière modification le 16 février 2024 par La Compagnie Littéraire

Éditions la Compagnie Littéraire : Yann Gontard, bonjour. D’ici quelques jours paraîtra la troisième partie de votre roman : Journal d’un aventurier des temps modernes. Il s’agit du Livre III, Le Sud-Est asiatique et moi, et moi, et moi. Cet ouvrage poursuit le récit de votre tour du monde débuté six mois plus tôt. Le jeune aventurier que vous étiez alors a changé, même si physiquement vous êtes resté le même. Que s’est-il donc passé dans votre évolution entre le départ de votre région lyonnaise et votre arrivée à Bangkok où l’on vous retrouve ici ? Comment expliquez-vous ces changements ?

Yann Gontard : « Je m’en allais, les mains dans mes poches crevées » sans vraiment savoir ce que j’allais y trouver, mais en étant certain de m’enrichir à la lumière nocturne de la voûte étoilée. La bohème de Rimbaud devait se transformer en Palais des mille et une nuits. Ce palais n’était pas des trésors bassement matériels, mais des richesses beaucoup plus infinies, celles de rencontres improbables d’hommes et de femmes qui m’ont nourri au fur et à mesure de mon errance. Cette errance qui devenait peu à peu initiatique. Car le jeune homme insouciant et avide d’aventures extraordinaires s’est finalement confronté à la vie réelle, de la rue et des campagnes, avec tous ces excès voire ces folies. Elle ne dénature pourtant pas notre homme, elle le façonne progressivement, rendant la pierre brute un peu mieux polie.

Éditions la Compagnie Littéraire : Le dimanche 11 février 1990, vous arrivez à Bangkok et c’est le « choc » : plus de voitures anciennes, plus de pauvreté sidérante, plus de saleté omniprésente mais une société ultramodernisée frappante. Vous écrivez : « c’était très différent de l’Inde. On était vraiment en Asie ici. » Qu’avez-vous ressenti à ce moment-là et pendant les quelques jours suivants que vous passerez chez votre cousin Frédéric, dans une villa confortable avec jardin et serviteurs ?

Yann Gontard : Un havre de paix ! Un petit paradis terrestre. J’arrivais d’un pays où le combat quotidien n’est pas une alternative, c’est un impératif, le seul moyen de survivre dans cette jungle urbaine. Même si le pays et son histoire révélaient un intérêt immense, la vie au jour le jour devenait difficilement supportable, la pression humaine y étant asphyxiante. Rien de tel en Thaïlande. Tout y était facile ! Simple, accessible. La population apparaissait d’une grande gentillesse et bienveillante pour l’étranger que je demeurais. Sans zèle, ni contrition, avec juste ce qu’il faut pour rester dans une relation vraie et équilibrée, même avec le personnel de maison mis à ma disposition. Finalement ces quelques jours chez mon cousin furent un luxe opportun à la fois revigorant et restructurant !

Éditions la Compagnie Littéraire : Votre technique narrative reste la même : un narrateur nous parle des aventures d’un personnage qu’il nomme « Il ». En réalité, ce « il », c’est vous. Vous vous êtes déjà expliqué sur ce choix dans une précédente interview. Ce personnage, ce « Il », ne devient-il pas comme un ami intime au fur et à mesure que vous développez votre récit ?

Yann Gontard : La réconciliation approche, mais elle n’est pas encore là. Cette première partie du voyage lui a permis de consolider son assise spirituelle qui lui semble enfin d’une épaisseur suffisante pour se défendre face à tous les extrêmes. Dans cette troisième partie, il va probablement découvrir une autre dimension de sa personnalité, sa relation à la femme, l’amour sans limite qu’il voue à la femme. Donc ce personnage, ce « il » déstabilisant pour certains lecteurs, reste encore un homme incomplet, ce mystérieux étranger qu’il était pour les autres et aussi pour lui-même.

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En revanche il demeure là, en moi, comme un être m’habitant encore après trente ans. Et sans nostalgie, je me ressource régulièrement à cette eau fraîche, cette spontanéité, cet amour irréfragable de la vie. Plus qu’un ami intime, il s’agit peut-être d’un référant, voire d’un bon petit génie qui veille sur moi pendant les moments de doute ou de questionnement. Car ce « il » me remet en perspective lorsque la vie m’entraine dans des voies suspectes.

Éditions la Compagnie Littéraire : Ce personnage découvre la Thaïlande avec bonheur et sérénité. Vous écrivez : « Il nageait dans un profond et simple bonheur… En sus les Thaïlandais n’étaient pas des voleurs. » Pouvez-vous développer un peu votre propos ?

Yann Gontard : L’homme qui arrive en Thaïlande est un animal blessé. Trois mois dans un pays aux valeurs radicalement différentes de celles que lui ont été enseignées ne lui ont pas donné les ressorts pour se défendre comme il l’imaginait. Cela a été un coup violent et dur pour son ego. Sa fragilité d’homme seul s’est sentie violée par des rapaces avides de tout ce qu’il représentait et avait en sa possession. La relation vraie qu’il recherchait et croyait trouver était quasiment toujours un piège et un écueil. Arrivant en Thaïlande, là encore, rien de tel. Je pourrais paraphraser Charles Baudelaire : « Là tout n’est qu’ordre et beauté, Luxe, calme et volupté ». Je passais, en quelque sorte, de l’enfer au paradis…

Éditions la Compagnie Littéraire : On voit bien que les Thaïs sont différents de nous ; ils semblent plus « rassurés », moins dans la perspective de la consommation et du stockage. Vous analysez ces caractéristiques de la façon suivante : Ils ont un climat qui leur permet de ne pas anticiper car les fruits et légumes sont en abondance ; pas besoin de mettre de côté et l’économie interne est dynamique. Que pensez-vous de cette réflexion aujourd’hui ? Y ajouteriez-vous quelque chose ?

Yann Gontard : Cette constatation d’origine climatique me semble toujours aussi vraie. Nous sommes ce que nous recevons de nos parents, bien sûr, et de notre entourage, mais également du cadre dans lequel nous vivons. Les Inuits ne vivent pas comme les Touaregs. Et leur espérance de vie serait faible s’ils devaient échanger respectivement leur position. Ce que je veux dire, c’est qu’au-delà des qualités humaines de chaque être qui restent universelles, il existe un cadre dans lequel l’homme grandit et acquière des réflexes qui conditionnent sa façon de vivre, ses coutumes, ses traditions, voire sa religion.

Selon moi, cette rigoureuse anticipation était un élément clé du mode de vie des Occidentaux, c’était même un impératif s’ils souhaitaient dépasser l’épreuve de l’hiver où la nature s’assoupissait sans offrir de quoi suffisamment s’alimenter. Ce qui, en son temps, était vrai dans l’agriculture l’est devenu par réflexe conditionné dans l’économie. Est-ce bien ? Je l’ignore, c’est un constat. Je l’accepte, cela fait partie de notre histoire.

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Éditions la Compagnie Littéraire : Vous semblez très attiré par la beauté des jeunes femmes thaïes, par leur finesse et leur sensualité. Il en est une, à Lopburi, qui vous amène même à vous interroger : Suneeman, la réceptionniste de l’hôtel. La tentation de vivre une histoire d’amour le dispute au désir de poursuivre votre voyage. Comment avez-vous débattu intérieurement de ce problème ? Quels commentaires cela vous inspire-t-il ?

Yann Gontard : Je rajouterais, aux admirables qualités de ces jeunes femmes, leur délicatesse, leur gentillesse et leur constante bonne humeur qui éclaire en permanence leur doux visage. En conséquence le combat intérieur que j’ai mené a été rude, difficile. Le choix était cornélien et toute solution insatisfaisante. « Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle… » C’était exactement ce que je vivais, une oppression intérieure, un duel intime qui m’a néanmoins éclairé sur mon manque de maturité et donc sur cette exigence de poursuivre ma route comme une évidence. À ce moment également, la raison a dépassé la passion. C’est une constante de mon caractère : un mélange étonnant de maturité et d’immaturité qui se chicanent et se querellent sans cesse ; Un mélange détonnant de réflexions pseudo-intellectuelles et d’aventures au plus près du terrain.

Éditions la Compagnie Littéraire : Je voudrais revenir sur un point, à plusieurs reprises notre héros, « Il », évoque ses souvenirs douloureux en Inde, alors même qu’il se trouve dans un moment de bien-être et de plénitude, à titre d’exemple lors de la contemplation d’un merveilleux coucher de soleil à Phuket. On dirait que les mauvais esprits de l’Inde envahissent son mental. L’Inde, avez-vous donc eu l’impression de risquer de vous y perdre et de devenir un autre ? Vous évoquez la déception que cela vous a infligé, vous sentant parfois comme « un animal en situation absurde de survie » ; comment ces pensées ont-elles évolué depuis ?

Yann Gontard : Jusqu’à Phuket, le ressentiment vis-à-vis de l’Inde était tenace et pas entièrement soigné. Je vivais un mélange de grande colère et d’intense fatigue. La longue route empruntée en Thaïlande m’a permis de m’apaiser, de me reconstruire et de reprendre des forces. Il était effectivement essentiel de prendre du recul par rapport à l’Inde. Vers la fin de ce périple indien, j’ai compris comment y vivre pour se réaliser en toute plénitude. Mais cela passait par une violence quotidienne et assumée, un moyen cruel de s’imposer par la force et l’irrespect, par l’égoïsme et la lutte. Donc une voie très éloignée de mon éducation plutôt basée sur l’ouverture vers les autres et l’amour de son prochain. Aujourd’hui encore j’aime infiniment la nature humaine et n’en suis toujours pas sevrée. C’eut été une grande déception pour moi de perdre cette faim de l’autre, cette curiosité insatiable. J’ai craint de tomber dans le panneau, mais ma pleine conscience et la Thaïlande m’ont sauvé.

Éditions la Compagnie Littéraire : En nous acheminant vers la fin de ce livre III, en faisant un détour par la Malaisie et Singapour et une escapade en Chine (Canton et Macao), on sent bien que votre réflexion s’élargit sur le fait que la mondialisation des échanges entraîne un nivellement par le bas. Vous dites conserver une foi solide en l’homme, comment voyez-vous la suite ? Pensez-vous que nous arriverons à garder à l’esprit que, si tous les hommes se ressemblent, ils ne sont cependant pas interchangeables ?

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Yann Gontard : J’ai une confiance inaltérable en la capacité de l’Homme à poursuivre son chemin en préservant ses singularités. Certes la mondialisation nivelle par le bas lorsqu’elle pousse tout un chacun à s’habiller, se nourrir, travailler et consommer de la même manière. Mais l’Homme est plus riche que cela et, au fond de lui, il restera toujours une part de mystère, d’étrange, d’unique ou d’incompréhensible. Voyez le réveil de la Chine, le sursaut de la Russie. Qui aurait parié à la possibilité de tels changements en aussi peu de temps ? La nature humaine m’étonne et continuera à m’étonner.

Éditions la Compagnie Littéraire : Dans les dernières pages, vous évoquez la découverte (au bout du monde) de l’importance de « sa » famille, force incroyable de valeurs humaines qui se construisent sur plusieurs générations. On sent que notre héros va prendre un nouveau virage… Mais, comme vous l’écrivez : la terre reste encore à découvrir. Et ce qui s’annonce pour le prochain livre, ce sont « les Amériques ». Un commentaire à ce sujet ?

Yann Gontard : Je suis parti du constat que la famille avait toujours été là, contrairement aux soi-disant amis qui promettaient monts et merveilles sans en faire même le quart. Au-delà des différences, des tensions, des lésions, des petites coupures de jeunesse, la famille reste un socle solide, car elle est la résultante d’une éducation et d’une histoire communes. Si tant est que chacun respecte un minimum son prochain sans imaginer que sa proximité lui autorise des familiarités déplacées.

Une assise morale, une reconnaissance des valeurs familiales, notre homme avance indéniablement dans le cadre d’une structure dont il prend conscience progressivement et qu’il accueille. Mais il reste à découvrir un jeune continent aux facettes si différentes dont on imagine qu’il lui apportera ce qui lui fait encore défaut, ce qui fera de lui un homme complet, un homme avec quelques qualités qui empruntera alors son chemin de vie. C’est ce que les Amériques sont susceptibles de lui apporter… s’il reste attentif et à l’écoute des hommes et des femmes qu’il rencontrera.

Propos recueillis par Monique Rault.

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