Dernière modification le 5 novembre 2022 par La Compagnie Littéraire

Éditions La Compagnie Littéraire : Roger Goriau, bonjour. Vous avez publié récemment à La Compagnie Littéraire un ouvrage intitulé : La Colline aux parfums : biographie historique de Yves-Marie Croc, missionnaire catholique breton, affecté en 1854 au Tonkin méridional. Il s’agit de la biographie d’un jeune missionnaire breton au destin extraordinaire, Yves-Marie Croc, affecté en 1854 dans l’une des régions les plus dangereuses du Tonkin. Tout d’abord, pourquoi ce titre ? Qu’est-ce que « La Colline aux parfums ? »

Roger Goriau : « La colline aux parfums » désigne le site de Huong-Phong, en bordure du fleuve Gianh, au sud du Tonkin méridional, réputé pour les senteurs très odorantes que répandaient les nombreux arbres fruitiers plantés autour du village. D’ailleurs, l’appellation « Huong » signifie parfum en vietnamien.

CL : Maintenant, pouvez-vous nous présenter Yves-Marie Croc ? Pour vous, qui est ce personnage ?

RG : Qui était vraiment Yves-Marie Croc ? Je crois ne le savoir jamais. Au fil de mes recherches au cours desquelles j’essayais de comprendre son itinéraire dans un monde de tous les dangers, sa foi m’est apparue de manière évidente, et également son intelligence et sa pondération qui firent de lui un diplomate de premier plan.

CL : Lorsque Yves-Marie Croc, jeune séminariste, confie à son confesseur son désir de devenir missionnaire en terres lointaines, il ajoute : « Je veux être un saint. » Vous évoquez dans le passage de référence la possibilité, entre autres, d’une influence, celle d’un religieux des Missions étrangères qui l’avait beaucoup impressionné. D’après vous, comment les choses se passent-elles (si tant est qu’on puisse expliquer ce phénomène) ? Comment est-on transporté vers ce genre de certitude, surtout si jeune ?

RG : Dans ce contexte si particulier d’un séminaire où l’on multiplie les émotions religieuses, où la foi est définie comme une faculté, au même titre que le raisonnement, attendant l’occasion de se révéler, il est possible que les interventions du père missionnaire aient été le déclencheur pour choisir un sacerdoce risqué en terres étrangères. Du moins perçoit-on dans l’accomplissement de son apostolat au Tonkin quelques moments d’interrogation, notamment à Saigon, quand il dirigeait le collège des Interprètes.

CL : La toile de fond du récit, c’est l’expansion occidentale en Extrême-Orient au XIXe siècle, particulièrement dans la péninsule indochinoise pour la France. Pourquoi ce contexte a‑t-il retenu votre attention ?

RG : On ne peut comprendre l’itinéraire d’Yves-Marie Croc sans avoir un aperçu sur les différentes phases de l’action politique de Napoléon III, puis du gouvernement républicain en Extrême-Orient, et de s’intéresser aux mécanismes qui ont permis à ce jeune missionnaire de s’intégrer, très tôt, dans ce monde feutré de la diplomatie.

CL : Votre livre est riche de références historiques, très documenté, et il permet une approche claire des événements de l’époque. Pouvez-vous revenir sur la genèse de l’ouvrage ? Combien de temps vous a‑t-il fallu pour mener à bien ce projet ?

RG : Commencées vers 2010, mes recherches à la BNF, aux MEP, et mes lectures d’ouvrages spécialisés, ont été interrompues pendant cinq à six ans par des fonctions très prenantes de président de section à Paris, puis de Secrétaire Général d’une association culturelle à vocation internationale.

CL : La Société des Missions étrangères dépendait de la Congrégation du Vatican qui avait la charge de l’extension de la foi chrétienne dans le monde. Cette société à caractère séculier regroupait le personnel de la rue du Bac, à Paris, et les différentes missions établies à l’étranger. Pouvez-vous nous dire quelques mots sur son fonctionnement et sur le suivi des missionnaires souvent exposés à de graves périls ?

RG : La Société des Missions Étrangères de Paris n’est pas un Ordre religieux. C’est une société de droit pontifical Elle est dirigée par un Supérieur élu en assemblée Générale qui se réunit tous les 10 ans, assisté d’un Conseil Central composé de 9 personnes représentant les groupes de mission dans le monde, et d’une administration restreinte d’assistants. Le Séminaire de la rue du Bac à Paris était chargé de l’enseignement et de la formation des séminaristes avec à la tête de chacun des groupes ‘’d’aspirants ‘’ un directeur nommé par le Supérieur de la Société qui nommait également les professeurs, eux-mêmes d’anciens missionnaires.

Il existait 4 relais, les procures, en Extrême-Orient (Hong-Kong, Chang-Haï, Singapore et Saigon) et 3 en Europe (Marseille, Londres et surtout Rome qui s’occupait des affaires générales de la Société. Les missionnaires disposaient d’une maison de retraite spirituelle à Hong-Kong, la Maison de Nazareth, pour vivre temporairement dans le silence, la prière et la méditation, et de 3 sanatoriums : Béthanie à Hong-Kong, Saint-Théodore en Inde et Saint-Raphaël en France. Si les missionnaires souhaitaient vivre leur retraite dans le pays de mission où ils avaient exercé leur apostolat, la Société leur procurait des émoluments pour y vivre dignement.

CL : À la fin de l’automne 1854, Yves-Marie Croc et François Marc-Dassa débarquent sur la côte de la province du Nghê An. Ils vont rejoindre la résidence épiscopale de Xâ Doài, où les attend leur supérieur, Mgr Gauthier. L’année 1855 est une année de découverte du pays, des gens, des villages chrétiens, et Yves-Marie apprend rapidement la langue parlée et l’écriture annamite. Pouvez-vous nous rappeler en quoi cet élément va être déterminant dans l’évolution de son parcours ?

RG : En dehors de la découverte du pays, des coutumes et des gens, l’élément prédominant était sa volonté tenace de parfaire rapidement sa maîtrise de la langue et de l’écriture, afin de mieux s’intégrer, choix judicieux qui lui permettra de jouer un « rôle » auprès des Occidentaux puis auprès de la sphère dirigeante de l’Empire annamite.

CL : Si la France de Napoléon III envoie « des » expéditions dans ces régions dans le but de conclure des traités de commerce et « d’amitié », sans négliger les intérêts des missions catholiques, la situation reste confuse, et les résultats souvent désastreux. Le 7 février 1861, « L’impératrice Eugénie » jette l’ancre devant Saigon, sous le commandement du vice-amiral Charner, alors responsable de la flotte française en mer de Chine. Yves-Marie va devenir son interprète, assister à l’assaut brutal du camp annamite et participer à des missions de pourparlers diplomatiques et d’organisation d’une école des interprètes. Vous dites qu’il semble alors avoir perdu sa gaieté communicative, et oublier un peu les problèmes de son vicariat du Tonkin. Quels commentaires cela vous inspire-t-il ?

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RG : On ne sort pas indemne à vivre un tel cauchemar dans la poussière des combats, le bruit des armes, sous un soleil de plomb. Plus encore, à soigner et à administrer le saint viatique à de jeunes soldats mourants. L’Amiral Charner, conscient de l’effet produit sur ce jeune missionnaire qui n’était pas préparé à la dureté des batailles, eut la sagesse de lui confier la responsabilité du Collège des Interprètes à Saigon pour un temps, avant de regagner sa mission.

CL : C’était sans compter sur son supérieur, Mgr Gauthier, qui veillait et qui veut son retour sur ses terres du Nghê An où les persécutions subsistent. Ils se retrouvent à l’embouchure de « la rivière des parfums » puis reprennent leurs activités missionnaires. Roger Goriau, tout d’abord un commentaire sur « la rivière des parfums » qui a vraisemblablement un lien avec la fameuse « colline aux parfums » ?

RG :« La rivière des parfums », célébrée par les poètes et les musiciens, tiendrait son nom, selon les légendes, de Princesses et d’Empereurs, mais plus prosaïquement de la présence sur les bords de son cours d’acorus, une herbe parfumée dont les pétales tombent à l’eau et embaument la capitale impériale.

CL : Dans la région, les choses vont mal et Yves-Marie décide d’en informer le vice-amiral alors en poste à Saigon. De retour dans son district de Bô Chinh, il semble qu’il ait une « crise de doute ». Il doit officier au bout du monde, dans des conditions très dures, il fait ses tournées à pied dans l’insécurité, et là on sent l’épuisement et la révolte. On a envie de dire « enfin » ! Ces conditions étaient très (trop) éprouvantes. Dans ces cas-là la réponse est souvent la foi. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet le concernant ?

RG : Il lui arriva souvent de se révolter contre les méthodes de culture qui ne permettaient pas d’engranger suffisamment de réserves de riz pour pallier les années de disette, contre les vaines querelles qui conduisaient les gens à brûler des villages, saccager les champs et perpétrer des meurtres. Alors il se battait, vaillamment, pour venir en aide à tous les démunis et il se réfugiait dans la prière pour implorer Dieu dans sa miséricorde. Homme de dialogue et de compromis, il ne comprit pas, vers la fin de sa vie, la participation catholique aux violences armées dans le Tonkin.

CL : Le 7 juin 1868, le père Yves-Marie Croc va être ordonné évêque de Laranda. Il va rencontrer le nouveau gouverneur à Saigon, le contre-amiral Gustave Ohier, pour l’informer des persécutions des chrétiens du Tonkin méridional. Quand il revient sur « ses terres », il a la joie d’assister à l’ordination d’un diacre annamite qui l’avait secondé, Paul Hoang. Pouvez-vous nous dire quelques mots sur ce Paul Hoang, qui représente certainement aussi d’autres religieux ayant eu un destin proche ou similaire.

RG :Jeune diacre, Paul Hoang avait été appelé à la Cour pour être le Précepteur des Princes. Très tôt, il prit l’habitude de se rendre à Huong-Phong où résidait le Père Croc qu’il avait rencontré lors de l’escale à Saigon avant le départ de la délégation annamite pour la France en 1863. Cette amitié devait être profonde si l’on en juge par ses efforts désespérés au mois d’octobre 1885 pour trouver une jonque, y traîner l’évêque et l’accompagner avec mille difficultés au dispensaire de Hong Kong pour tenter de la sauver, le veiller nuit et jour et laisser éclater sa douleur après son dernier soupir.

Après la mort de Tu Duc, il fut pressenti par les Régents pour exercer les fonctions de Conseiller auprès du jeune Roi Ham Ngi à la Cour où il acquit la réputation d’être la personne la plus influente du Palais. À la demande du Gouverneur Paul Bert il déclina la proposition du nouveau Roi Dong Khanh pour reprendre ses fonctions et regagna sa chrétienté de Vinh en 1889 où il décéda en 1909 à l’âge de 77 ans.

CL : Et là, une nouvelle tombe : le Pape Pie IX convoque tous les évêques catholiques pour participer au Concile Vatican I. Monseigneur Gauthier, trop fatigué, se fait remplacer par Yves-Marie qui part pour Saigon et embarque sur un navire de ligne, via le canal de Suez. Une parenthèse : les travaux du canal de Suez et leur aboutissement s’inscrivent dans un contexte historique et géopolitique de taille : Roger Goriau, vous êtes historien, éclairez-nous sur ce sujet. 

RG : Le canal de Suez, une utopie française, constitue l’un des évènements majeurs du XIXe siècle. Pour gagner l’Extrême-Orient, il était nécessaire auparavant de contourner le continent africain par le Cap, ou d’utiliser un transit ferroviaire coûteux entre Alexandrie et Suez, « l’Overland road », qui ne pouvait plus absorber l’augmentation des volumes du trafic. La réussite du canal d’Égypte fut immédiate ; si le tonnage représentait 90 % sur la route du Cap en 1870, il ne représentera plus que 47 % dix ans plus tard. Au niveau géopolitique, la présence française qui contrôlait la gestion du canal constituait une menace évidente au commerce anglais et Londres, après avoir violemment critiqué le projet, n’eut de cesse de s’en approprier les bénéfices après la chute de Napoléon III. Ainsi, après avoir éliminé la Russie lors de la guerre de Crimée en 1856, l’Angleterre réussit à écarter la France du Moyen-Orient et d’obtenir le droit d’établir un protectorat sur l’Égypte par le traité de Berlin de 1878, la mer Méditerranée devenant pour un temps, selon les termes d’un diplomate américain, « a british lake ».

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CL : L’évêque de Laranda se retrouve donc à Rome pour le Concile. L’une des questions, objectif principal de la Curie, c’était de décréter l’infaillibilité dogmatique du souverain pontife. Une certaine résistance se faisait jour. Pouvez-vous nous expliquer cela, les ultramontains d’un côté et les gallicans plus libéraux de l’autre ? 

RG : À la veille du Concile Vatican I les discussions les plus passionnées avaient lieu en Europe, notamment en France et en Allemagne, sur la question de l’infaillibilité papale. Les uns, les ultramontains, étaient hostiles au régime des libertés civiles et politiques issu de la Révolution, prônaient un catholicisme autoritaire et la prédominance du Pape tant au niveau du dogme que de l’administration de l’Église.Les autres, les libéraux, voulaient réconcilier l’Église et le monde moderne et privilégiaient l’autonomie des églises nationales. L’un de ses partisans, Mgr Dupanloup, évêque d’Orléans, avait mis le feu aux poudres en publiant le 20 novembre 1869 un manifeste qui déclarait inopportun le projet romain sur l’infaillibilité du Pape. Les débats furent houleux, des qualificatifs peu amènes volèrent sous le dôme de la Basilique Saint-Pierre et finalement le texte “pastor aeternus” fut voté à une écrasante majorité le 18 juillet 1870 alors qu’un orage effroyable plongeait l’assemblée dans l’obscurité.

CL : Le Concile s’était ouvert le 8 décembre 1869. Le texte fut adopté le 18 juillet 1870. Yves-Marie espérait beaucoup des derniers travaux du Concile sur le rôle des missionnaires, mais on apprit que le gouvernement français venait de notifier à la Prusse une déclaration de guerre. Le Concile Vatican I fut interrompu, laissant en suspens 51 projets. Il n’allait jamais reprendre. Pouvez-vous nous citer quelques-uns de ces projets qui auraient particulièrement intéressé les Missions étrangères ?

RG : Pour Yves-Marie Croc le Concile était une occasion unique pour résoudre enfin la querelle des rites et de la liturgie qui provoquait des discussions passionnées depuis deux siècles. La Curie s’empressa de l’éviter et de ne retenir, devant cette assemblée clairsemée, que des questions secondaires comme les méthodes d’apostolat, les affectations de crédits ou la place du clergé régional dans la vie des missions. Déçu, n’ayant pas de mandat particulier de son supérieur, Mgr Gauthier, sur ces questions, Yves-Marie Croc préféra regagner Paris. Effectivement les débats sur le schéma proposé par la Curie s’enlisèrent dans des questions de préséances et de susceptibilités entre maronites, Coptes et Chaldéens au grand dam des Supérieurs Généraux des ordres capucins et cisterciens, et l’assemblée approuva le premier septembre un texte remanié, sans l’espoir de le proclamer. Le Concile laissait en suspens cinquante et un schémas. Ils ne furent jamais repris.

CL : Le 4 septembre 1870, tôt le matin, c’est la capitulation et le désastre de Sedan. Yves-Marie retourne dans son village des Côtes d’Armor où il est accueilli comme « l’enfant du pays » mais repart bientôt sur un paquebot via le canal de Suez retrouver « la terre rouge et poussiéreuse de Saigon ». On a des nouvelles terribles de la France : c’est l’insurrection, l’épisode de la Commune ; l’archevêque Mgr Darboy est passé par les armes. Quelles sont les raisons de l’émergence d’un anticléricalisme plus virulent à cette époque dans le pays ?

RG : La libre pensée était à la mode et la verve anticléricale tirait à boulets rouges sur l’Église que l’on accusait de s’être compromise avec le Second Empire. Dès 1869, le programme radical de Gambetta inclut dans ses réformes la séparation de l’Église et de l’État et en 1870 une pétition parisienne recueillait plus de 1 million de signatures pour réclamer la laïcité à l’école. On rejetait les prétentions de l’Église à vouloir tout régenter la politique, à contrôler l’enseignement et « à dire le droit » sur certains aspects de la vie privée comme le mariage ou le repos dominical. Les pèlerinages nationaux, ceux du culte maria et plus tard celui du Sacré-Coeur, sont la cible des caricatures. Le conflit récurrent entre la Science et la foi conduit à promouvoir l’anthropologie et la préhistoire qui remettent bien en cause la chronologie biblique. L’Église est appelée « la calotte » et le religieux est qualifié de « sodomisé cloîtré ». La libre pensée et l’anticléricalisme seront les ciments de la IIIe République.

CL : Yves-Marie Croc embarque en mars 1871 sur le Volta, navire à vapeur en direction de la Chine. Il va regagner son district de Bo Chinh. Vous écrivez : « Il retrouva le fleuve Gianh sillonné par mille barques de pêche, la baie des pagodes et sa chère « colline des parfums » plantée d’innombrables arbustes odorants, Huong Phong ». J’en profite pour dire un mot sur le style de votre récit : la narration suit un rythme enlevé, elle est ponctuée de descriptions pittoresques et les images poétiques ne manquent pas non plus au cœur d’une évocation ancrée dans une réalité historique parfois assez dure. On a envie de vous poser la question : quels sont vos auteurs préférés, toutes formes de littératures confondues ?

RG : Je relis toujours avec plaisir quelques pages de Chateaubriand et de Proust, mais mes préférences actuelles vont vers des écrivains contemporains : l’Italien Erri De Luca dont j’ai apprécié « La nature exposée », le Turc Orham Pamuk pour « Le château blanc », « Canada » de l’Américain Richard Ford, et surtout les Asiatiques, Hasuki, Murakami, Hitonari Tsuji ou Hayashi Fumiko.

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CL : Revenons à notre histoire du Tonkin. Le nouveau gouverneur en poste à Saigon, le contre-amiral Jules Dupré, va jouer un double jeu dans les traités en cours, avec l’aide d’un officier de marine et explorateur célèbre Francis Garnier, et de l’aventurier Dupuis. C’est assez compliqué ; là nous avons besoin de votre talent d’historien pour clarifier l’affaire. Que va-t-il se passer ensuite ?

RG : L’affaire du Tonkin est en effet très compliquée. Vous avez d’un côté un Gouverneur en poste à Saigon, l’Amiral Dupré, qui envisage d’engager des troupes au Tonkin pour faire pression sur Hué afin que Tu Duc signe enfin la ratification du traité qui attribue la Cochinchine à la France. De l’autre un gouvernement de l’Ordre moral en France qui s’y oppose en soulignant qu’il n’avait « plus d’argent, plus d’armée solide, pas d’allié, et qu’en cas de conquête on s’exposerait à des mesures de rétorsion de la part de l’Allemagne et de l’Angleterre ». Le jeu diplomatique de l’Amiral va donc être de laisser s’installer des troubles dans le delta du Mékong orchestrés par un aventurier assez peu recommandable, Jean Dupuis, de laisser la Cour annamite s’en effrayer et de réclamer des mesures aux Français pour apaiser la situation. Feignant d’accéder à de tels vœux, l’Amiral s’empressera de mettre sur pied une expédition confiée au célèbre Francis Garnier qui, au lieu de tenter de résoudre les problèmes, s’installera en terrain conquis, prendra la citadelle et fera prisonniers quelques Mandarins de haut rang. Le résultat fut que le pays s’installa dans la guerre civile, les catholiques se mirent à poursuivre les païens, les Lettrés se lancèrent dans la course aux Français et les pirates chinois s’empressèrent d’envahir les rizières. Un négociateur français, M. Philastre, dépêché d’urgence, réussit à faire accepter un traité qui fut signé le 15 mars 1874, mais la partie était loin d’être réglée.

CL : Quand Yves-Marie Croc regagne son district du Bô Chinh et visite ses chrétientés, il est informé de l’état de santé alarmant de Mgr Gauthier. Au décès de ce dernier, le 8 décembre1877, il devient à son tour le vicaire apostolique du Tonkin méridional. Il va favoriser un climat d’apaisement et construire une église, sans oublier de s’attaquer aux problèmes endémiques de la région. Il va s’attaquer à de grandes questions : améliorer la situation des prêtres annamites et installer 4000 personnes dans des fermes qu’il crée en 2 ans sur tout le territoire. Toutes ces initiatives à caractère social lui valent une grande popularité. Une grande amitié avec le père Hoang reste un fil rouge pour la suite car le destin des deux personnages semble lié face à la folie de « l’Histoire ». Là on est hélas toujours dans la politique ; je vous laisse nous en expliquer les conséquences et nous faire part de vos commentaires.

RG : Les difficultés d’application du traité, l’arrivée au Tonkin d’un Général chinois rebelle avec une nombreuse troupe, les infiltrations des bandes rebelles, les Pavillons Noirs et les Pavillons Jaunes… Des bandes armées internationales, les manœuvres diplomatiques des Anglais, tout semblait échapper aux Français. Le gouvernement républicain dut se résoudre à la guerre. Le second ministère Ferry s’y décida et l’Assemblée vota un crédit de 5 300 000 francs. Ce sera la guerre du Tonkin contre la Chine qui se soldera par le traité de Tien-Tsin du 9 juin 1885 qui reconnaissait la domination coloniale de la France au Tonkin.

CL : Roger Goriau, le destin d’Yves-Marie Croc est un destin exceptionnel et la mise en perspective du contexte historique ne peut qu’amener une question éternelle : Pourquoi ? Pourquoi cet homme s’est-il détaché ainsi du lot ? Avait-il une mission qui nous échappe ? Ou bien est-ce le fait du hasard ? En tout cas il est passé au travers des tortures et persécutions ambiantes, et il a œuvré pour « l’humain ». Que pensez-vous de tout cela pour conclure ?

RG : En apprenant la langue, en s’intéressant à la culture, en aidant les populations dans leur quotidien et dans les moments de détresse, il a témoigné, par son humanité, de son attachement profond à cette population annamite, et c’est sans doute ce qui lui a permis d’être protégé de la prison, des tortures et d’une exécution. Ses rencontres avec Théophile Legrand de La Liraye, Petrus Ky, les Lettrés et les Mandarins de haut rang, les Amiraux et les gradés de la Marine, témoignent de son haut niveau de culture et de réflexion.

On n’est pas exceptionnel par hasard.

Propos recueillis par Monique Rault.

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