Dernière mod­i­fi­ca­tion le 5 novem­bre 2022 par La Com­pag­nie Littéraire

La Com­pag­nie Lit­téraire : Nous pré­parons actuelle­ment la sor­tie de votre nou­veau roman inti­t­ulé « Vite, en finir avec la guerre 14 » prévue avant cet été. Ce roman fait suite à votre précé­dente pro­duc­tion « Au car­refour des brumes » parue aux édi­tions Thot en 2001 et ayant été hon­oré du prix « Plume de l’Espoir » par la Société des Auteurs Savo­yards.

Vous inscrivez l’intrigue de votre his­toire dans un con­texte par­ti­c­uli­er, celui de l’après-guerre, en 1919, alors que la France se relève dif­fi­cile­ment du trau­ma­tisme occa­sion­né par les con­flits. Nous retrou­vons à cette occa­sion la tribu Baes à Esquerchin dans leur grande ferme, où nous pou­vons décou­vrir la réal­ité de leur quo­ti­di­en ponc­tué de peines, de deuils, mais aus­si d’un grand attache­ment à la vie. Nous apprenons que vos deux grands-pères furent médecins à Ver­dun et que l’une de vos deux grands-mères vous par­lait de la guerre de 14 – 18 tous les jours. Ain­si, vous pou­vez pré­ten­dre être un héri­ti­er de sa parole. Quelle place cette expéri­ence acquise par vos aïeux occupe-t-elle dans votre démarche d’écrivain et pourquoi avoir choisi de plac­er votre intrigue dans cette péri­ode de l’histoire ?

carrefour des brumes

Jean-Charles Van­den­abeele : Parce que la péri­ode que nous vivons actuelle­ment inter­vient juste un siè­cle après ce moment déli­cat de notre His­toire, l’un de mes deux grands-pères médecins étant d’ailleurs décédé il y a 100 ans en décem­bre 1918.

Parce que j’ai tou­jours pen­sé que j’écrirai une suite au pre­mier roman. Et peut-être encore une autre suite qui sera située 20 ans plus tard quand les deux presque jumelles du roman d’au­jour­d’hui auront vingt ans, en 1939 (mon autre grand-père médecin étant, lui, décédé en 1940).

Parce que ayant accu­mulé, avant d’écrire, de la doc de toute sorte sur 14 – 18 (pen­dant 15 ans) du temps où inter­net n’ex­is­tait pas encore, je con­nais assez bien le sujet.

Comme vous le soulignez, il est cer­tain que si je n’avais pas vécu (pen­dant la semaine) chez ma grand-mère pater­nelle épouse du grand-père décédé en 18, quand j’avais entre 10 et 14 ans (le col­lège étant en ville à Douai 59), je n’au­rais pas écrit de romans sur cette péri­ode. En effet, elle me par­lait qua­si­ment chaque jour de la guerre 14 (mais pas de 39 – 45), son dis­cours étant tou­jours appuyé sur de la doc de l’époque.

Par con­tre, j’ai basé mon his­toire d’o­rig­ine (“Au Car­refour des brumes”) sur les lieux de vie de mon autre grand-mère à Esquerchin (à côté de Douai) parce qu’elle est inspirée de faits réels : la très grande ferme en ques­tion qui existe tou­jours à côté de l’église, le château de la petite-fille de la Comtesse de Ségur racheté par mon AR grand-père et qui a brûlé effec­tive­ment en 1915 (les Alle­mands occu­pant le château), ce même AR grand-père pris en otage alors qu’il occu­pait la fonc­tion de maire, les deux petites filles de six mois décédées en début de guerre, l’an­cien hôpi­tal que j’ai bien con­nu puisque j’y ai été interne dans les années 70, etc.

Château-et-ferme-Esquerchin
Château et ferme Esquerchin

chateau esquerchin

Pour le fun, je dois dire que je pen­sais avoir inven­té que les Alliés (Cana­di­ens et Anglais) avaient pris à revers les Alle­mands en pas­sant par les car­rières souter­raines (nom­breuses dans le coin) et me suis aperçu ensuite qu’ils l’avaient vrai­ment fait (qui plus est avec 24.000 hommes !).

Sinon, l’His­toire en général m’a tou­jours intéressé puisque j’ai gag­né à l’âge de 20 ans un con­cours d’his­toire organ­isé par la Voix du Nord qui con­cer­nait l’his­toire du Douai­sis (prix, un voy­age à Cannes).

Enfin, comme indiqué sur la qua­trième de cou­ver­ture de “Au Car­refour des brumes”, mon souhait ini­tial était de ren­dre compte de la vie dif­fi­cile pour les femmes et les familles, en zone occupée dans le Nord de la France, région qui a souf­fert d’être occupée à chaque guerre. Alors qu’en classe, on nous par­lait qua­si­ment unique­ment de l’Alsace-Lorraine.

Pour la suite, je me suis inspiré aus­si de faits réels, par exem­ple l’u­sine à gaz de la petite ville d’Hénin-Lié­tard, dirigée par un autre de mes AR grands-pères, qui a explosé à cause d’une cig­a­rette (racon­té tou­jours par la même grand-mère) et j’ai prof­ité de mes deux ans passés dans la mai­son natale du Général de Gaulle (nom d’o­rig­ine : Van de Walle selon ma pro­prio qui était de leur famille…) pour évo­quer sa per­son­ne sans le dire expressé­ment. À ce pro­pos, un de mes AR (ou AR AR) grands oncles était effec­tive­ment doyen de l’église de la rue Royale juste à côté de ladite mai­son, rue Princesse à Lille.

Par ailleurs, si beau­coup de sol­dats ne sont pas ren­trés de la guerre (et on en décou­vre encore aujour­d’hui), d’autres qui sont revenus ne s’en sont jamais remis : ce fut ma pre­mière préoc­cu­pa­tion en écrivant cette suite. Pour les jeunes femmes, veuves ou pas, il a fal­lu réap­pren­dre à vivre avec les moyens du bord. Quant aux deux soeurs, Char­lotte et Marie, mes héroïnes très proches pen­dant la guerre, une sub­tile évo­lu­tion se pro­duit entre elles au fur et à mesure que l’on s’éloigne de la guerre.

CL : Comme vos deux grands-pères juste­ment, vous êtes vous-même actuelle­ment médecin. Ceci légitimise les nom­breuses références médi­cales que vous puisez dans votre roman. À ce titre, vous qual­i­fiez vous-même votre roman comme roman de ter­roir, en rai­son de ce vocab­u­laire médi­cal d’époque, de l’utilisation du patois du Nord, ain­si que la représen­ta­tion fidèle de la vie en cam­pagne en cette péri­ode de l’histoire. Pourquoi avoir choisi, plus que la ville notam­ment, de dévelop­per votre intrigue dans une ferme ?

Jean-Charles Van­den­abeele : Comme indiqué, je suis issu d’une famille de médecins : mes deux grands-pères, bien sûr, qui furent médecins en 1916 sur le site de Ver­dun, mon père, mon oncle, des cousins, des nièces, etc. Et je fais exprès d’u­tilis­er le par­ler local en patois pour ancr­er l’his­toire dans le ter­roir. Ça n’a pas empêché les Savo­yards de me don­ner une Plume de l’E­spoir alors que je n’évoque pas du tout l’his­toire des Savoie.

14-18 Dr Charles Vandenabeele
Charles Van­den­abeele (grand-père de l’au­teur), en train d’opér­er pen­dant la guerre

Sinon, quand j’é­tais enfant, né le 10 novem­bre 45 à 23H 30 (en fait le 11 nov. mais ma mère n’a pas voulu l’of­fi­cialis­er…), on ne se rendait pas vrai­ment compte que nous sor­tions de la guerre (qui fut par­ti­c­ulière chez nous, on le sait) sauf que mon père médecin impliqué aus­si en poli­tique était très ami avec Mau­rice Schu­mann (la Voix de la France, min­istre du Général, etc.) et que j’ai appris bien des années après que c’est mon père qui con­dui­sait le Général de Gaulle dans sa voiture per­so lors de la man­i­fes­ta­tion pour la libéra­tion de Douai en 1945.

Donc, pas de nos­tal­gie au sens pro­pre mais plutôt une cer­taine curiosité de ce qu’avaient vécu mes proches (mon père né en août 1914 n’a jamais con­nu son père, par exem­ple), suiv­re les femmes qui avaient survécu, en fait.

CL : Avez-vous été inspiré par un poète, ou un romanci­er durant l’écriture de votre livre ? Vous intro­duisez notam­ment votre roman avec le célèbre poème « Chan­son d’automne » de Paul Ver­laine. Avez-vous peut-être aus­si un com­pos­i­teur, un artiste à nous faire partager, ayant accom­pa­g­né votre plume ?

Jean-Charles Van­den­abeele : Paul Ver­laine avait des attach­es dans la région, sa mère étant orig­i­naire de Fam­poux près d’Ar­ras (comme quelques mem­bres de ma famille) et on sait que Rim­baud est passé par Douai. Chan­son d’au­tomne (util­isé par ailleurs en 39 – 45) est un poème chargé de nos­tal­gie que j’aime beau­coup et qui me paraît assez adap­té à la péri­ode évo­quée dans le roman (en par­ti­c­uli­er, pour la nos­tal­gie des temps heureux de l’avant-guerre).

Pour “Au Car­refour des brumes”, j’avais mis en exer­gue un extrait du “Voy­age au bout de la nuit” de Céline (médecin lui-même…) qui con­cer­nait la Flan­dre, parce que j’aimais assez son style.

Enfin, dans le roman d’au­jour­d’hui, j’ai essayé de gliss­er un peu de l’hu­mour poé­tique cher à mon fils Julien, jeune écrivain promet­teur décédé en 2015 des suites d’un burn-out (il était cor­recteur pour le jeu “Tout le monde veut pren­dre sa place” présen­té par Nagui sur France 2).

Sinon, pas vrai­ment d’artiste pour m’in­spir­er, sauf peut-être, pour son fameux Requiem, Gabriel Fau­ré qui pas­sait ses vacances à l’époque du roman juste à côté de chez moi (en face du vieux clocher d’An­necy-le-Vieux en Hte Savoie) ou alors Léo Delibes pour Lakmé.

CL :  Plus de quinze ans sépar­ent la sor­tie de votre roman « Au car­refour des brumes » et « Vite, en finir avec la guerre 14 ». Que représente pour vous cette sor­tie après toutes ces années ?

Jean-Charles Van­den­abeele : Sor­tir cette suite 17 ans après le pre­mier roman est d’abord en rap­port avec les con­cor­dances de temps évo­quées en début de page. Et de toute façon, il fal­lait atten­dre que mûrisse la suite de l’his­toire. Je ne savais pas si, comme beau­coup d’au­teurs, j’al­lais utilis­er les 20 ans avant 1939 ou si j’al­lais choisir d’en rester à l’im­mé­di­at après-guerre.

CL :  Nous appré­cions la quan­tité de détails sur l’environnement de la tribu Baes, ren­forçant grande­ment l’immersion dans une vie d’après-guerre dans un con­texte ten­du, encore en l’attente du dénoue­ment du traité de Ver­sailles. Nous nous rap­pelons alors à quel point la vie n’a pas tou­jours été comme nous la con­nais­sons actuelle­ment. Quel mes­sage, souhaitez-vous faire pass­er par l’intermédiaire de votre roman, aux per­son­nes de votre généra­tion, mais aus­si aux plus jeunes ?

Jean-Charles Van­den­abeele : Je ne vous apprends rien en dis­ant que cette guerre 14 a eu un impact direct sur toutes les familles français­es (y com­pris en Haute-Savoie, française depuis peu à l’époque) et encore plus sur les familles du Nord.

Par­venir à en sor­tir est aus­si impor­tant que de sur­vivre pen­dant la guerre elle-même.

Même si, 100 ans après, les petits écol­iers lisent avec appli­ca­tion leur texte le 11 novem­bre, ils ne com­pren­nent pas vrai­ment de quoi ils par­lent. Alors, autant essay­er de leur faire décou­vrir ces évène­ments majeurs du XXe siè­cle à tra­vers de tels romans à car­ac­tère historique.

La fameuse De Dion Bouton en 1912 (de mon grand-père maternel médecin Charles Helbecque
La fameuse De Dion Bou­ton en 1912 (du grand-père mater­nel de l’au­teur, le médecin Charles Helbecque

CL :  Nous vous remer­cions chaleureuse­ment de bien avoir voulu répon­dre à ces quelques ques­tions. Vos lecteurs pour­ront retrou­ver la suite des aven­tures de Marie et Char­lotte cet été aux édi­tions La Com­pag­nie Lit­téraire. Pour ceux qui vous décou­vriront à cette occa­sion, nous vous lais­sons le mot de la fin en leur honneur.

Jean-Charles Van­den­abeele : Bernard Wer­ber dit tou­jours qu’un auteur doit pren­dre de la hau­teur. Essayons.

—-> La guerre 14 – 18 a été une forme de sui­cide de l’Europe.

Cette guerre qual­i­fiée de mon­di­ale, com­pliquée d’une épidémie de grippe spé­ciale­ment mortelle, eut essen­tielle­ment trois orig­ines, évo­quées par moments dans mes romans :

- L’er­reur de Napoléon III qui déclara la guerre à l’Alle­magne en 1870 et nous fit per­dre l’Al­sace et la Lorraine.

- L’in­va­sion de la Bosnie-Herzé­govine en 1908 par l’empereur d’Autriche François-Joseph, à l’o­rig­ine de l’at­ten­tat de Sara­je­vo du 28 juin 1914.

- Le décès pré­maturé en 1888 de Frédéric III de Prusse (qui par­lait de ren­dre l’Al­sace-Lor­raine à la France) rem­placé par Guil­laume II, jeune kaiser belliqueux qui détes­tait son oncle Édouard VII, roi d’Angleterre.

Donc :

“Au Car­refour des brumes”, a surtout con­té l’épopée de deux jeunes femmes dans la tour­mente de 14 – 18, au sens pro­pre, en zone occupée dans le Nord de la France, au coeur des combats.

“Vite, en finir avec la guerre 14”, pour­suit l’his­toire de ces deux mêmes soeurs, Char­lotte et Marie, qui, la guerre ter­minée, repren­nent goût à la vie, cha­cune à leur façon alors que ça se passe moins bien pour leur grande soeur Berthe. Oui, les coeurs, même brisés, con­tin­u­ent de battre.

Mais ces résumés man­quent peut-être un peu de poésie…

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[…] Tous ces sou­venirs, et bien d’autres ont donc servi de matière à Jean-Charles Van den Abeele pour écrire Au car­refour des brumes et sa suite Vite, en finir avec la guerre 14, dont L’ami des auteurs vous repar­lera sûre­ment très bientôt. […]

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