Dernière mod­i­fi­ca­tion le 5 novem­bre 2022 par La Com­pag­nie Littéraire

Édi­tions La Com­pag­nie Lit­téraire : Anne Stein­berg-Viéville, vous venez de pub­li­er à La Com­pag­nie Lit­téraire un ouvrage à car­ac­tère auto­bi­ographique très par­ti­c­uli­er : Le Syn­drome iden­ti­taire. Com­ment vous est venue l’idée de cette publication ?

Anne Stein­berg-Viéville : J’ai d’abord écrit pour moi, pour me sauver. La res­pi­ra­tion des phras­es (au même titre que la musique de Bach) me per­me­t­tant de lut­ter con­tre l’embolie pul­monaire. J’ai adressé le pre­mier jet, écrit dans divers ser­vices hos­pi­tal­iers, à mon médecin trai­tant. « Très fort ! » m’a‑t-il répon­du par SMS. Sa récep­tion, laconique, a généré l’idée d’une pub­li­ca­tion. Elle m’a per­mis de réalis­er que le corps médi­cal attendait le point de vue du patient. Enfin, j’ai lu avec émo­tion le Lam­beau de Philippe Lançon. Même urgence, même cul­ture, même démarche lit­téraire mal­gré un mode d’expression rad­i­cale­ment opposé. À lui, le luxe de détails, à moi l’économie des moyens. Il a trou­vé un large pub­lic de lecteurs. Alors, pourquoi pas moi !

Édi­tions La Com­pag­nie Lit­téraire : Vous nous livrez ici un « frag­ment de vie » qui sert de cadre à une ques­tion cen­trale dans votre écri­t­ure : qu’est-ce que l’identité ? Cela ne se résume man­i­feste­ment pas aux « nom, prénom, date de nais­sance ». Que pou­vez-vous nous don­ner comme élé­ments de réponse ?

Anne Stein­berg-Viéville : En effet, cette ques­tion me taraude depuis l’enfance ! Mal-aimée par mes géni­teurs qui me perçurent comme le « vilain petit canard qui ne ressem­ble à per­son­ne », désirée par un frère au-delà des pul­sions sex­uelles qui tra­vail­lent la puberté, j’ai pré­co­ce­ment conçu l’idée que j’étais une « erreur de berceau. » Dès lors, je me suis embar­quée dans un pro­gramme égo­tiste : con­stru­ire et cul­tiv­er un Moi sin­guli­er, dont l’Identité admin­is­tra­tive ne dit rien.

Comme je l’écrivais dans les Mémoires d’une étrangère, je me suis con­stru­ite CONTRE mes géni­teurs : lit­téraire, libre, lib­er­tine et libertaire.

Édi­tions La Com­pag­nie Lit­téraire : L’histoire s’ouvre sur un pas­sage à « l’Unité 3 de Réan­i­ma­tion » où vous vous trou­vez dans un état cri­tique. Pou­vez-vous nous éclair­er sur le con­texte qui a précédé ces événements ?

Anne Stein­berg-Viéville : Au print­emps 2018, une douleur lom­baire inval­i­dante déclenche une imagerie qui mon­tre un énième cal­cul rénal. Patholo­gie chronique depuis une dizaine d’années. Mais cette fois, ni l’évacuation par les voies naturelles ni la lithotrip­sie extra­cor­porelle ne sont envis­age­ables. La pierre est énorme et infec­tée ! Avec le chirurgien, nous con­venons d’une inter­ven­tion sophis­tiquée, inva­sive, qui devrait présen­ter le béné­fice d’un pas­sage unique sur le billard.

Les prélim­i­naires avec l’anesthésiste se passent mal : con­tes­ta­tion de ma thérapeu­tique en cours, nég­li­gence de l’impact d’un geste chirur­gi­cal sur fond de traite­ment hor­mon­al non inter­rompu, incom­préhen­sion des sub­stances allergènes. Un Romain serait ren­tré chez lui ! Pas moi. Je me rends à la clin­ique comme un bon petit sol­dat. En salle de réveil, le chirurgien me mur­mure « il s’est passé beau­coup de choses. » Le lende­main, il me fait part de son échec, lié à une panne matérielle pen­dant l’intervention. Sans vision sat­is­faisante, la lentille du néphro­scope étant non fonc­tion­nelle, il a per­du le tra­jet de ponc­tion de mon rein et arrêté la procé­dure. Très rapi­de­ment, mon état général se dégrade : sep­ticémie, dys­p­née, throm­bose 1, throm­bose 2, pleu­rop­neu­mopathie. C’est alors que je suis trans­férée à l’Unité 3 de Réan­i­ma­tion Médicale.

Édi­tions La Com­pag­nie Lit­téraire : Un peu plus tard dans le réc­it, on va lire sous votre plume : « Écrire sa mésaven­ture est un exer­ci­ce cathar­tique (…) la lit­téra­ture peut main­tenir les fonc­tions vitales. » Aviez-vous déjà expéri­men­té ce proces­sus avant l’accident de san­té que vous relatez ici ?

Anne Stein­berg-Viéville : Non. D’expérience, c’est une pre­mière. Je con­nais­sais ce pou­voir par des témoignages lit­téraires : Proust, Kaf­ka, Dos­to­jevs­ki, Baude­laire, Ner­val me l’avaient enseigné.

syndrome identitaire
La cou­ver­ture du Syn­drome iden­ti­taire, titre à paraître dans la pre­mière quin­zaine de juin 2019

Édi­tions La Com­pag­nie Lit­téraire : À pro­pos de votre « Zen atti­tude » remar­quée par le per­son­nel soignant, vous évo­quez « l’amor fati », un accom­mode­ment à l’impondérable.

Pou­vez-vous dévelop­per ce concept ?

Anne Stein­berg-Viéville : Locu­tion latine sig­nifi­ant l’amour du des­tin, l’amor fati est un con­cept niet­zschéen aux accents stoï­ciens. Sans com­mune mesure avec une résig­na­tion pas­sive, il désigne une atti­tude de la volon­té qui con­siste à accepter les acci­dents de la vie comme des occa­sions de devenir plus fort, de se sur­pass­er voire de créer :). Des occa­sions de ne pas per­dre la maîtrise de sa vie et de s’épanouir. Toute réal­ité qui ne nous tue pas est bonne à pren­dre. Tel est le sens de l’exergue du chapitre IV.

Édi­tions La Com­pag­nie Lit­téraire : Quand vous faites référence aux fig­ures antiques, on voit appa­raître Œdipe et Cas­san­dre. Vous dites : « et si le respon­s­able, c’était le nom ? La géné­tique ? » Que voulez-vous dire exactement ?

Anne Stein­berg-Viéville : Cela nous ramène à la ques­tion de l’identité con­stru­ite. Pour cohérente qu’elle soit, elle ne se sub­stitue pas à l’identité reçue. Telle est l’ironie de ma vie ! Avec le temps, j’ai décou­vert que ma rigueur intel­lectuelle, mon opiniâtreté, mon goût des maths et mon cerveau d’ingénieur me vien­nent de mon père. Et, avec la mal­adie, j’ai réal­isé qu’en fab­ri­quant des pier­res, j’incarne mon nom…

Édi­tions La Com­pag­nie Lit­téraire : Pour en revenir à Cas­san­dre, vous faites état d’un pressen­ti­ment que vous avez eu, très peu de temps avant votre « acci­dent », à pro­pos d’un cadeau venant d’un homme qui fait par­tie de votre univers. Il s’agissait d’un foulard de soie flam­boy­ant ; vous y avez « vu » un linceul. Croyez-vous aux pressentiments ?

Anne Stein­berg-Viéville : Il ne s’agit pas d’une croy­ance mais d’une cer­ti­tude, véri­fiée à maintes repris­es. En ani­maux que nous sommes, nous sommes assu­jet­tis à des tro­pismes, des sig­naux irra­tionnels (peut-être instinc­tifs) que nous envoie notre corps et qu’il est sage de pren­dre en compte.

Vis­i­ble­ment, je n’ai pas encore acquis cette sagesse !

Édi­tions La Com­pag­nie Lit­téraire : Votre con­va­les­cence et votre guéri­son passeront par une sérieuse réé­d­u­ca­tion ; tout d’abord la réé­d­u­ca­tion mus­cu­laire en piscine. Vous évo­quez dans ce cadre les bien­faits de l’eau, d’où une nos­tal­gie de « l’état de pois­son ». Ain­si la récupéra­tion physique est riche d’enseignement. Quelles con­clu­sions en avez-vous tirées ?

Anne Stein­berg-Viéville : Cette récupéra­tion a con­forté et ma joie de vivre et mon matéri­al­isme. En effet, il est faux de s’obstiner à penser avec Descartes que l’esprit est dis­tinct du corps ; en revanche, il est vrai que le sens que nous don­nons à notre quo­ti­di­en peut con­jur­er le délabrement.

Édi­tions La Com­pag­nie Lit­téraire : Vous dites que le pou­voir intel­lectuel per­met de dédrama­tis­er l’adversité et de rebondir. C’est le sens de votre pub­li­ca­tion aujourd’hui. Alors qu’allez-vous encore faire main­tenant, puisque vous ter­minez votre ouvrage par : Impos­si­ble de dire « tout ça pour rien » ?

Anne Stein­berg-Viéville : D’abord, je m’efforce de faire coïn­cider philoso­phie et vécu ; ain­si, je me lève chaque jour avec la déter­mi­na­tion de réus­sir ma journée et je m’interdis tous renon­ce­ments (syn­onymes pour moi de vieil­lisse­ment) ; ensuite, je pour­su­is mon ini­ti­a­tion à la physique quan­tique (aven­ture ébou­rif­fante pour l’esprit, s’il en est !) ; sans oubli­er un pro­jet de roman par tex­tos car le temps de l’autobiographie est révolu…

Édi­tions La Com­pag­nie Lit­téraire : Anne Stein­berg-Viéville, une dernière ques­tion : croyez-vous au destin ?

Anne Stein­berg-Viéville : Je crois que l’on se fait une vie qui nous ressemble…

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