Dernière mod­i­fi­ca­tion le 5 novem­bre 2022 par La Com­pag­nie Littéraire

Édi­tions La Com­pag­nie Lit­téraire : Jean-Luc Marc­hand, bon­jour. Vous venez de pub­li­er à La Com­pag­nie Lit­téraire un réc­it à car­ac­tère his­torique qui se déroule dans la péri­ode du haut Moyen Âge : L’Ambassade des Francs. Nous sommes en 797, Charle­magne envoie une ambas­sade au cal­ife de Bag­dad, Hâroun ar-Rachîd. Il veut lui deman­der d’assurer la sécu­rité des chré­tiens sur les Lieux saints de la Pales­tine, mais il se trou­ve que ce loin­tain sou­verain pour­rait aus­si lui être utile face aux Omeyyades d’Al-Andalus ou aux Romains de Con­stan­tino­ple. Pou­vez-vous nous rap­pel­er le con­texte géopoli­tique de l’époque et les rival­ités de pou­voir qui s’y jouent ?

Jean-Luc Marc­hand : Charles Ier (Charle­magne), fils de l’usurpateur Pépin le Bref, est devenu un monar­que puis­sant. Le roi des Francs dirige un vaste ter­ri­toire allant de la Saxe à l’Aquitaine, auquel s’ajoute une grande par­tie de l’Italie attachée à son titre de roi des Lom­bards. Fer­vent croy­ant, il revendique un rôle de guide spir­ituel pour les chré­tiens. Une rival­ité avec l’Empire romain (d’orient) s’est ain­si dévelop­pée, notam­ment sur des ques­tions de doc­trines religieuses. Même si l’Empire s’est réduit à des ter­ri­toires grecs, à l’Anatolie et à quelques pos­ses­sions au sud de l’Italie, l’empereur se con­sid­ère tou­jours comme l’autorité tutélaire de ce roi bar­bare d’États fédérés, à ses yeux. Il pré­tend par ailleurs être le pre­mier représen­tant du Christ sur terre, dans la con­ti­nu­ité de Con­stan­tin Ier. Toute­fois, au début du réc­it, c’est Irène, la mère de l’empereur en titre, Con­stan­tin VI, qui dirige les affaires. Elle a su impos­er la fin de l’iconoclasme et elle s’apprête à péren­nis­er son pou­voir per­son­nel. L’arrogance byzan­tine ain­si que les ambi­tions de Charle­magne ne sont pas du goût du pape, l’évêque de Rome qui pré­tend impos­er son autorité à tous les chré­tiens, y com­pris à leurs sou­verains. Pape, roi et empereur s’affrontent donc pour s’ériger en chef de la chrétienté. 

S’il a vain­cu les Sax­ons et les Avars, Charle­magne a par con­tre échoué pour l’instant con­tre les Arabes en His­panie. Ces Arabes sont issus de la dynas­tie omeyyade ren­ver­sée par les Abbas­sides en 750. Réfugiés en His­panie (al-Andalus), ils doivent s’opposer aux chré­tiens qui veu­lent les chas­s­er, tout en se méfi­ant du maître de Bag­dad qui voudra un jour récupér­er ce ter­ri­toire. Mais le cal­ife abbasside Hâroun ar-Rachîd est pour l’instant obsédé par la con­quête de Constantinople.

Une alliance entre le roi des Francs et le cal­ife des Arabes pour­rait donc men­ac­er Byzan­tins et Omeyyades. 

Édi­tions La Com­pag­nie Lit­téraire : Votre réc­it s’articule autour du per­son­nage d’Isaac qui nous accom­pa­gne du début à la fin de l’histoire. Au début de l’année 797, Isaac est un homme respectable âgé de 48 ans qui vit avec sa famille à Nar­bonne, en Sep­ti­manie, du revenu sub­stantiel de ses ter­res. Son autorité est recon­nue dans la com­mu­nauté juive de sa ville et son avenir sem­ble tout tracé. Qu’est-ce qui va faire que son des­tin va bas­culer, presque du jour au lende­main, et qu’il va se retrou­ver à servir d’interprète et de diplo­mate au ser­vice de Charlemagne ?

Jean-Luc Marc­hand : Isaac est effec­tive­ment un notable de Nar­bonne, quand un jeune seigneur franc vient chercher un inter­prète arabe pour servir les ambas­sadeurs en route vers Bag­dad. La famille d’Isaac est en effet orig­i­naire de Mésopotamie. Elle apparte­nait à la dias­po­ra juive restée à Baby­lone depuis la dépor­ta­tion imposée par Nabu­chodonosor (à par­tir de ‑597). Le père d’Isaac était un mem­bre impor­tant de cette com­mu­nauté (un exi­lar­que), mais pour des raisons incer­taines, il avait dû quit­ter l’orient. Il s’était instal­lé du côté de Nar­bonne. Pépin le Bref et Charle­magne lui-même avaient cer­taine­ment eu à faire au père et au frère aîné d’Isaac. Les rela­tions avaient été vis­i­ble­ment bonnes, puisque le roi s’est tourné vers eux pour trou­ver un inter­prète de con­fi­ance. Au début du réc­it, Isaac est le dernier mem­bre vivant de cette famille. Son devoir autant que sa curiosité pour le pays de son père qu’il n’a jamais vu, va l’inciter à accepter le rôle d’interprète. 

Cou­ver­ture du roman his­torique L’Am­bas­sade des Francs

Édi­tions La Com­pag­nie Lit­téraire : Vous dites dans votre pré­face que ce voy­age en ori­ent, qui a duré cinq ans pour Isaac, fut un voy­age aux dan­gers mul­ti­ples – ce que nous décou­vrons effec­tive­ment au fil des pages. Vous ajoutez que très peu d’informations sont par­v­enues jusqu’à nous et qu’il s’agit donc ici d’une ver­sion imag­inée du déroule­ment de l’expédition mais que cette ver­sion exploite tous les faits con­nus. Com­ment avez-vous procédé pour effectuer cette reconstitution ?

Jean-Luc Marc­hand : La fic­tion his­torique per­met d’imaginer ce qui n’est pas con­nu, car non doc­u­men­té. Sur la base des faits ou des indices qui nous sont par­venus, on peut ten­ter de reli­er entre eux des évène­ments, éla­bor­er des rela­tions de caus­es à effets, attribuer des inten­tions qui se seraient ou non con­crétisées. Si l’historien tente d’établir la vérité sur le passé, le romanci­er peut se per­me­t­tre de pro­pos­er une ver­sion plau­si­ble, pour peu qu’elle dis­traie le lecteur. Mais il est impor­tant de respecter les prin­ci­paux faits con­nus pour don­ner du crédit au réc­it imag­iné. Par con­tre, le risque existe d’oublier cer­tains des faits ou de mécon­naître les con­textes de l’époque traitée. La recherche bib­li­ographique est donc essentielle. 

J’ai donc d’abord recher­ché toutes les infor­ma­tions rel­a­tives à cette ambas­sade, mais aus­si à Isaac, à sa famille et à tous les pro­tag­o­nistes con­nus. Nous con­nais­sons prin­ci­pale­ment les dates du départ et de la réap­pari­tion d’Isaac et de l’éléphant du côté de Carthage, sans savoir s’ils étaient seuls ou accom­pa­g­nés d’ailleurs. Une autre infor­ma­tion impor­tante qui nous est par­v­enue con­cerne la dis­pari­tion des deux ambas­sadeurs, mais aucune chronique occi­den­tale ou ori­en­tale (à ma con­nais­sance) ne men­tionne ce qui leur est arrivé. J’ai donc imag­iné le chemin par lequel ils sont passés, les escales qu’ils ont dû faire, et bien sûr les aven­tures qui leur sont arrivées. Mieux doc­u­men­tés sont les événe­ments relat­ifs à l’empire de Byzance. Irène est un per­son­nage assez fasci­nant. Pieuse et manip­u­la­trice à la fois, hum­ble mais aus­si ambitieuse, sa rela­tion com­plexe avec le roi des Francs et la crainte des attaques arabes m’ont con­duit à imag­in­er qu’elle n’avait pas pu rester inac­tive devant la men­ace d’un rap­proche­ment entre ses deux enne­mis les plus menaçants. La rival­ité des sou­verains, leurs intérêts, leur his­toire et leurs rela­tions, offraient un con­texte très fer­tile pour dévelop­per une intrigue dont les pro­tag­o­nistes sont à la fois des instru­ments et des vic­times de ces puissants. 

Édi­tions La Com­pag­nie Lit­téraire : Isaac ibn Habibaï (749 – 836) surnom­mé « le Juif » a donc bien existé ; il est le fils de l’exilarque Natron­aï ibn Habibaï de Baby­lone et il est né à Nar­bonne. Au chapitre XII, votre per­son­nage Isaac arrivé à Bag­dad, part sur les traces de son père et de son frère aîné pour décou­vrir les raisons de leur exil à Nar­bonne. Que décou­vre-t-il ? S’étaient-ils effec­tive­ment mis au ser­vice de la nou­velle roy­auté fondée par Pépin le Bref et pour quelles raisons ? Est-ce bien là l’explication de l’origine des vastes ter­res dont a hérité Isaac en Sep­ti­manie ? Quelle est la part de vérité his­torique et quelle est la part de fic­tion ? Pou­vez-vous nous éclair­er sur ce sujet ?

Jean-Luc Marc­hand : Il sem­ble qu’Isaac était bien le fils de l’exilarque Natron­aï ibn Habibaï, un notable donc de la com­mu­nauté juive qui s’était retrou­vé sur les ter­res du roi Charles Ier. Le fait qu’Isaac ait été le tra­duc­teur, une fonc­tion qui réclame la plus grande des con­fi­ances, incite à penser que la rela­tion entre le roi et cette famille exis­tait préal­able­ment. Il sem­ble par ailleurs que Charle­magne ait eu le désir de mieux con­naître la reli­gion et la com­mu­nauté juives. On sait qu’il était égale­ment admi­ratif du roi David. Il aimait à se faire désign­er comme le nou­veau roi David. Sans aucune cer­ti­tude quant à cette rela­tion directe, le fais­ceau d’indices m’a incité à choisir ce lien entre les Habibaï et Charle­magne. Il faut savoir qu’une autre hypothèse a évo­qué la pos­si­bil­ité qu’Isaac ait été un com­merçant (un rad­han­ite). Ses biens auraient donc pu venir de son com­merce. Je n’ai pas choisi cette hypothèse en rai­son de l’absence d’éléments pour étay­er cette supputation.

Les raisons qui ont con­duit le père d’Isaac à quit­ter la com­mu­nauté juive de Mésopotamie ne sont pas con­nues. Il sem­ble cepen­dant que des ten­sions exis­taient à cette époque entre le Gaon, le directeur des académies tal­mudiques baby­loni­ennes, et l’exilarque, le représen­tant civ­il des Juifs. Là encore, l’absence de faits bien doc­u­men­tés m’a per­mis d’imaginer des cir­con­stances et des faits, étayés seule­ment par quelques indices. 

Édi­tions La Com­pag­nie Lit­téraire : Jean-Luc Marc­hand, vos per­son­nages pure­ment fic­tifs – vous nous en sig­nalez cinq dans vos notes d’accompagnement du réc­it – sont là pour servir d’actants et faire avancer le « scé­nario ». Par­mi eux, nous avons les traîtres de ser­vice : Mar­wân al-Akbar ibn Yahyâ – com­merçant arabe instal­lé à Nar­bonne, et Varaz­dat – meur­tri­er man­daté par Byzance pour élim­in­er les ambas­sadeurs francs à Bag­dad. Nous avons aus­si les loy­aux : Lancelin – cap­i­taine du détache­ment de sol­dats qui accom­pa­gne l’ambassade franque, et Euphrosyne – gou­ver­nante et dame de com­pag­nie de l’impératrice Irène à Con­stan­tino­ple. Pou­vez-vous nous don­ner quelques infor­ma­tions sur le con­texte qui entoure cha­cun de ces per­son­nages et sur les fonc­tions que vous leur avez attribuées ? Com­ment vous sont-ils venus à l’esprit ?

Jean-Luc Marc­hand : Il fal­lait expli­quer la durée de l’expédition et la dis­pari­tion des deux ambas­sadeurs. L’intervention de Byzance ou de Cor­doue pour empêch­er l’ambassade sem­blait logique. Un rap­proche­ment entre Charle­magne et Hâroun menaçait leurs enne­mis com­muns. Mar­wân, le com­merçant de Nar­bonne qui va com­pren­dre qu’une ambas­sade du roi des Francs est en route pour Bag­dad, aurait pu déclencher l’intervention des Omeyyades. Isaac l’appréhendera régulière­ment au cours du périple. Mais le tra­duc­teur ignor­era tout de l’exécuteur Varaz­dat et des intrigues byzan­tines pour con­tre­car­rer leur mission.

Lancelin et Euphrosyne représen­tent quant à eux, dans des styles très dif­férents, ceux qui ser­vent fidèle­ment, quoi qu’il arrive, restant intè­gres dans un monde où règne la per­fi­die, la trahi­son ou l’ambition. Ces per­son­nages sec­ondaires m’ont servi à faire avancer l’histoire, soit pour dévelop­per les intrigues, soit pour per­me­t­tre au lecteur, à tra­vers quelques dia­logues, de com­pren­dre les motifs, la psy­cholo­gie ou les raison­nements des protagonistes. 

Édi­tions La Com­pag­nie Lit­téraire : J’ai volon­taire­ment omis de vous par­ler du cinquième per­son­nage fic­tif, Adalard, car il me sem­ble mérit­er une ques­tion à lui tout seul. Il appa­raît dès les pre­mières pages : Adalard de Chelles, un Franc de Neustrie, vas­sal de Charle­magne, arrive d’Aix-la-Chapelle (Aachen) à Nar­bonne à la recherche de Makhir, le frère d’Isaac, car il cherche un tra­duc­teur qui par­le arabe pour une mis­sion diplo­ma­tique. Les cir­con­stances vont faire que c’est Isaac qui va par­tir et une ami­tié forte se noue entre les deux hommes. On dirait par­fois deux aspects com­plé­men­taires d’une même aspi­ra­tion, toute­fois leurs routes vont se sépar­er avant la fin de l’histoire. Pou­vez-vous nous expli­quer pourquoi ? Cette sépa­ra­tion reflète-t-elle la com­plex­ité dans laque­lle baigne cette péri­ode de fin d’un empire et de début d’un autre ?

Jean-Luc Marc­hand : Leur ami­tié se développe au cours du réc­it. Si elle se fonde d’abord sur une sol­i­dar­ité naturelle entre voyageurs, leurs dis­cus­sions ouvertes et sincères vont pro­gres­sive­ment sus­citer un intérêt et un respect mutuel. Le chré­tien et le juif, le noble et l’agriculteur, le jeune et l’ancien, l’audacieux et le raisonnable, le Mérovingien et l’ami des Car­olingiens… Leurs nom­breuses dif­férences, leurs orig­ines très éloignées, vont engen­dr­er une sym­pa­thie sincère et réciproque. Elles ne vont pas les oppos­er mais au con­traire con­forter leur prox­im­ité. Cha­cun pressent que l’autre peut lui apporter quelque chose, rançon d’une ouver­ture à la diversité.

Leurs routes se sépar­ent pour plusieurs raisons. Ils vont décou­vrir que leurs familles ont soutenu des camps opposés : les Mérovingiens et les Car­olingiens. Nous trou­vons peu de trace d’une con­tes­ta­tion de la prise de pou­voir par Pépin le bref. L’usurpation qui a mis fin à la dynas­tie mérovingi­en­ne a dû cepen­dant avoir quelques opposants, sans doute vite écartés. Adalard est donc un peu celui qui sym­bol­ise l’oubli par l’Histoire de ceux qui ne l’ont pas écrite.

D’autre part, comme tout per­son­nage fic­tif, il ne devait pas laiss­er de trace dans l’Histoire. Il ne pou­vait donc pas ren­tr­er avec Isaac à Aix-la-Chapelle.

Enfin, Adalard et Isaac se sépar­ent car je voulais que le tra­duc­teur soit seul à renter avec l’éléphant, pour mieux soulign­er son exploit. 

Édi­tions La Com­pag­nie Lit­téraire : Jean-Luc Marc­hand, mer­ci d’avoir répon­du à nos ques­tions. Souhaitez-vous ajouter quelque chose ?

Jean-Luc Marc­hand : Je suis tou­jours assez impres­sion­né de voir com­bi­en les échanges entre les hommes étaient déjà impor­tants à des épo­ques où les dis­tances rendaient les voy­ages longs et périlleux. Banal­isées de nos jours, les expédi­tions loin­taines étaient de vraies aven­tures. On con­nais­sait peut-être le nom de villes ou de sou­verains étrangers, mais sans en savoir beau­coup plus. Par­tir à leur décou­verte, pass­er de la vague idée de leur exis­tence à leur réal­ité, d’une vir­tu­al­ité incer­taine à une décou­verte con­crète, devait pro­cur­er une cer­taine exal­ta­tion. La per­spec­tive d’un voy­age, puis son sou­venir, sont sou­vent de puis­sants pour­voyeurs d’émotions, d’autant plus à une époque où les déplace­ments loin­tains étaient rares. Voilà pourquoi j’ai choisi de met­tre en exer­gue cette phrase de Lamar­tine (extraite de : Un voy­age en Ori­ent) : « Vivons, voyons, voy­a­geons : le monde est un livre dont chaque pas nous tourne une page ; celui qui n’en a lu qu’une, que sait-il ? ».

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