Éditions La Compagnie Littéraire : Jean-Luc Marchand, vous nous avez surpris tant par le sujet de votre livre Drusilla que par sa forme : une pièce de théâtre de facture classique, écrite en alexandrins.
Procédons par ordre : tout d’abord pourquoi le choix de la forme ?
Jean-Luc Marchand : Je suis parti de la pièce Bérénice, de Jean Racine. J’ai appris par cœur des passages entiers, que j’ai d’ailleurs en grande partie oubliés. La beauté des alexandrins de Racine ne réside pas uniquement dans la musique des mots ou dans le rythme des pieds, mais aussi dans son art d’exprimer par la rime un propos déterminant ou une image forte. Bérénice étant un personnage important de ma pièce, j’ai hésité, devant l’ampleur du défi, entre la faire parler en prose ou en vers. J’ai choisi les alexandrins par amour pour la langue de Racine, et parce que j’ai pensé qu’ils m’imposeraient une plus grande exigence dans le choix des mots.
Éditions La Compagnie Littéraire : La seconde question qui s’impose à l’esprit, c’est : Comment avez-vous « rencontré » Drusilla ?
Jean-Luc Marchand : En apprenant des passages par cœur, je ne comprenais pas certaines références ou des mentions à des faits antérieurs. Au départ, j’avais songé à relater les déboires passés d’Antiochus (nom donné par Racine, mais que je nomme Épiphane), l’amoureux éconduit par la reine juive. J’ai recherché les faits historiques. De fil en aiguille, j’ai trouvé la petite sœur de Bérénice, Drusilla, qui m’a semblé un personnage plus intéressant.
Éditions La Compagnie Littéraire : À partir de là, vous avez dû vous plonger dans d’importantes recherches. Comment avez-vous procédé et combien de temps cela vous a‑t-il pris ?
Jean-Luc Marchand : Pour construire l’intrigue, j’ai voulu comprendre le contexte de l’époque, m’appuyer sur des faits avérés, des personnages réels. J’ai donc lu les historiens antiques et des historiens modernes, spécialistes de cette période. J’ai mis un an à écrire ce livre.
Éditions La Compagnie Littéraire : Drusilla est une jeune princesse attachante au caractère bien trempé. Comment avez-vous construit votre personnage ? S’est-elle révélée au fil de l’écriture, au travers de vos recherches, ou vous êtes-vous laissé, en quelque sorte, guider par sa personnalité ?
Jean-Luc Marchand : Je voulais faire de Drusilla le personnage principal autour duquel tournait l’intrigue. Mais toujours en cohérence avec les faits historiques, et au fur et à mesure que je la faisais parler, j’ai compris qu’elle était une jeune femme qui avait pris son destin en main. Elle apparaît un peu naïve au début de l’histoire, car encore très jeune. Puis elle comprend qu’elle doit prendre ses propres décisions pour vivre selon son désir. Elle se libère alors des contraintes de son monde.
Éditions La Compagnie Littéraire : À quel moment avez-vous senti ou décidé que le livre touchait à sa fin, que l’histoire était bouclée ?
Jean-Luc Marchand : Sa fuite avec le procurateur Félix mettait un point final à sa vie passée. Elle choisissait son destin. J’aurais aimé écrire une troisième partie, mais la documentation sur sa vie manquait, car je tenais à rester ancré dans des faits avérés. Elle apparaît encore une fois dans les textes (Actes des Apôtres de Saint Paul) aux côtés de Félix, mais cela ne m’offrait pas de matière suffisante pour développer plus son personnage.
Le lecteur glisse facilement dans cet univers poétique et dramatique. Les dialogues en vers sont subtilement entrecoupés de prose narrative. On est séduit aussi par le sérieux des recherches historiques de ce livre qui est agrémenté par les arbres généalogiques de la famille d’Agrippa II et celle d’Antiochos ainsi que deux cartes géographiques représentant les Royaumes des Diadoques, des Empires Séleucide, Lagide et de la Palestine du 1er siècle.
Écrire une pièce de théâtre en alexandrins inspirée de Bérénice de Racine est une véritable gageure car il faut à la fois ne pas trop s’éloigner des textes classiques et aussi toucher des lecteurs contemporains qui ne soient pas troublés par les dialogues et l’intrigue. Pari difficile, mais pari réussi. Irisyne, Babelio.
Éditions La Compagnie Littéraire : N’a-t-il pas été difficile de quitter votre personnage en posant le point final ?
Jean-Luc Marchand : Oui, un peu difficile, mais j’étais content pour elle, car elle avait choisi son sort. J’aurais quand même bien voulu la suivre encore un peu.
Éditions La Compagnie Littéraire : Dans votre pièce, Bérénice voit son astre pâlir par rapport à la pièce de Racine. Elle apparaît surtout intrigante et pas du tout bienveillante vis-à-vis de sa jeune sœur Drusilla. D’après vous, qui est au plus près de la réalité, Racine ou vous ?
Les textes des auteurs antiques (notamment Flavius Josèphe) laissent entendre que Bérénice était une femme qui cherchait à plaire et que les intrigues de ce temps ne servaient que les ambitions des protagonistes. La rivalité des deux sœurs, réputées être de très belles femmes toutes les deux, était connue. Bérénice a fait montre de dévotion par moment, mais elle a aussi renié ses principes religieux en prétendant s’unir à Titus qui ne se serait jamais converti. Je pense donc qu’elle était une femme très politique et ambitieuse. La conquête de l’Empire romain, au travers d’une union avec le futur empereur, a été son plus grand projet ; et il a échoué.
Éditions La Compagnie Littéraire : Il est vrai que les événements que vous relatez sont antérieurs à ceux de la pièce de Racine. Bérénice ne rencontre Titus qu’en l’an 68, alors qu’ici nous sommes entre l’an 49 et l’an 54. À ce propos, nous devons souligner la facilité avec laquelle vous transportez le lecteur, on pourrait dire aussi le spectateur, dans une période historique pourtant complexe. Pensez-vous que les dialogues en alexandrins aient un effet magique en ce sens ? Serait-on emportés par la musique des vers ?
Merci pour ce commentaire. Je craignais que les alexandrins pussent être un obstacle pour le lecteur. Je voulais faire connaître spécifiquement l’histoire de cette jeune femme, mais je crois que les sentiments des personnages sont intemporels.
Éditions La Compagnie Littéraire : Pour finir, Jean-Luc Marchand, quels projets formez-vous autour de cet ouvrage ? Avez-vous d’autres héroïnes qui vont venir frapper à la porte de L’Histoire et de l’Écriture pour se faire entendre ?
Mon souci d’être cohérent avec les faits historiques et la pièce de Racine m’a conduit à cette forme (théâtre en alexandrins). En écrivant Drusilla, ou plus précisément en cherchant une rime, j’ai trouvé un autre sujet, oublié lui aussi, qui fut pourtant une incroyable aventure humaine. Mais nous verrons bien.
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